Du mythe fondateur à la tragédie moderne
Ô lassitude et secret désir
d’enfin se perdre pour de bon
dans les ténèbres internes
de quelque baleine définitive
(De Dadelsen – Jonas)
Véritable pivot de la saison 2007 et du cycle Passages, cette création fut le fruit d’un travail de longue haleine mené par Michel Tallaron depuis 2005, et a réuni de nombreux collaborateurs artistiques (auteurs, scénographes, plasticiens, vidéaste, comédiens, musiciens…). Parmi les nombreuses version et traduction du Livre de Jonas, le texte choisi par Michel Tallaron fut Le Livre de Jonas de Michael Babits, auteur hongrois contemporain né en 1883 et mort en 1941. Epopée tragi-comique d’un symbolisme profond, ce texte montre Babits au sommet de la virtuosité. Il modifie à peine l’histoire biblique. L’oeuvre est condensée en moins de quatre cents vers, où les intonations d’Homère et de Shakespeare se mêlent aux accents des Psaumes et du roman réaliste.
(1) Or pour Jonas le Seigneur appareilla
Une énorme baleine, puis, l’envoya,
Goulue, gueule bée, pour qu’elle l’engloutît,
En lampant les flots à force glougloutis,(…)
(7) Dans le Ventre, indemne, sans qu’un poil de tête
Fléchît, et déjà s’éveillant de l’hébète
Pâmoison, il ouvrait des yeux, clignotant
Sur la molle nuit moite, odeur de poisson.
Michael Babits – chap 2
Jonas, c’est l’histoire [très actuelle] d’un homme appelé à rejoindre « le meilleur de lui-même », à sortir de sa torpeur pour tenter d’accomplir sa tâche d’homme responsable et vivant. Bien que « prophète » c’est-à-dire inspiré, il refuse, se cache, s’enfuit de lui-même… terrifié par la grandeur possible de sa destinée. Un spectacle onirique, tragi-comique, traité à la manière d’un récit initiatique, mêlant le jeu dramatique au chant et à la parole musicale, sur un texte magnifique de l’auteur hongrois contemporain Mihaly Babits – Le livre de Jonas. Un mythe universel et contemporain, qu’il convient de redécouvrir.
Probablement écrit au V° siècle avant Jésus Christ, le Livre de Jonas est un récit biblique, c’est aussi un mythe que l’on retrouve dans de nombreux textes sacrés de multiples traditions.
Poème épique, chant de la terre, ou de la mer, c’est un objet poétique infiniment riche sur le plan symbolique, à la mesure des grandes légendes et des mythes fondateurs : Noé, Moïse, Capitaine Achab, Simbad le Marin, Léviathan, Pinocchio… Qui est-il ce prophète récalcitrant et fugueur ? Que cherche-t-il ? Que fuit-il ? C’est bien dans une aventure énorme, où l’humour égale le merveilleux et le tragique que l’auteur inspiré engage Jonas. L’option de jeu adopté est celle du modèle du Choeur Tragique, dans une mise en scène parfaitement contemporaine.
« J’ai souhaité dans un premier temps dégager un thème qui me paraît central dans ce récit – il est celui de la présence, celui du corps relié, de l’âpreté et de la magnificence de la chair. Concentration de faisceaux de désirs qui s’affrontent, le corps est substance matière du héros en butte avec sa condition, qui se meut dans un registre de la toute-puissance méritant gain et rétribution.
La tragédie est un lieu de vie et de sens et reste trop souvent un pensum. Ici, corps de chair, corps de pierre. Le féminin y est omniprésent. Espace concave, humide, matriciel, s’il est ventre de poisson femelle, le corps est aussi nef de cathédrale, tissu de mémoires originelles, espace sonore… souffles et humeurs, passages et mouvances des liquides amniotiques, lumière en creux, clair-obscur, effleurement lunaire [...] » [Michel Tallaron – janvier 2005]